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Lens, Wattrelos, Roubaix, des paysages industriels réhabilités

07.01.2019

Lens, Wattrelos, Roubaix, trois anciennes villes minières qui ont fait l’objet d’une réflexion approfondie sur la réhabilitation de leurs friches industrielles et leur intégration paysagère. Réhabilitation saluée par Jean Cabanel dans l’article ci-dessous.
Jean Cabanel a animé durant de nombreuses années l'équipe du Bureau du paysage des ministères chargés de l'Environnement et de l'Équipement.

Retour à Lens

Le succès de la politique de réhabilitation des friches industrielles et minières repose sur la recherche de la qualité des paysages et de l’architecture des bâtiments liés à l’activité passée. Elle a nécessité de faire appel à des savoirs forestiers, botaniques, chimiques, écologiques pour y parvenir.

Nous sommes retournés mon épouse et moi à Lens pour participer à un colloque portant sur les paysages de l’après pétrole, il avait pour objectif de se fonder sur l’expérience du bassin minier pour dégager des méthodes destinées à faire face aux défis du changement climatique qui impliquent de nouveaux modes de production et d’économie de l’énergie. Nous étions déjà allés à Lens l’an dernier voir ce qu’étaient devenus les traitements paysagers réalisés il y a plus de trente ans

Il faut se souvenir du cataclysme qui s’est abattu à l’époque dans le nord de France quand des emplois étaient supprimés par milliers dans les années 1980. Usines, mines ont alors été fermées laissant un paysage désolant de friches industrielles, de zones d’habitation dégradées, de terrains pollués. Aucune entreprise ne voulait d’installer sur de tels sites. Quelle réponse a été apportée à ce défi ?

Un groupe de travail fut constitué autour de l’ingénieur des ponts et chaussées Jean-Pierre Lacaze qui produisit un rapport sur les grandes friches industrielles en 1986. Il préconisa avant toute chose de requalifier le paysage des friches industrielles pour rendre attractifs les terrains qui n’avaient plus de valeur, qui avaient même une valeur négative. Ainsi à la tragédie des emplois perdus on proposa comme solution de planter des arbres, de verdir les espaces délaissés. Dur, dur à entendre pour les maires !

Dans la foulée de ce rapport un colloque fut organisé à Lille auquel participèrent les forces vives de la région pour mettre en place le programme fondé sur les méthodes de préverdissement* consistant à revalorisant les sols existants en les couvrant de plants d’arbres selon des méthodes forestières consistant à mettre en place des associations d’espèces adaptées pour créer une trame végétale sur laquelle pourront se « caler » les futurs aménagements. Des participants avaient même suggéré de transformer les bâtiments en lieux d’échanges et de culture ce qui paraissait parfaitement irréaliste à l’époque. C’est pourtant ce qui s’est fait. Comme on a pu le constater en 2018 cette politique a été couronnée de succès. Elle a entraîné une redécouverte des bâtiments liés à l’exploitation. On s’est aperçu à cette occasion que leur architecture était souvent belle. Les installations réhabilitées sont devenues la fierté de tout le pays minier. Peu à peu également les maisons des ouvriers ont été remises en valeur et elles ont révélé à cette occasion leurs qualités esthétiques.

La dynamique se poursuit. D’une année à l’autre les visiteurs, comme nous l’avons fait, peuvent constater que la mise en valeur de ces installations des puits se poursuit :

Par exemple la restauration des bâtiments du « site minier 11/20 » a progressé depuis l’an dernier. Des activités nouvelles s’y sont d’ailleurs installées. Cette restauration a permis de découvrir la qualité de l’architecture et l’élégante décoration des façades dissimulées jadis par la poussière de charbon. On a pu vérifier que même en hiver ce site est très fréquenté par ceux qui en ont fait un lieu de prédilection pour pratiquer leur sport dans un paysage arboré. 

Le « site 9-9bis » à Oignies a déjà été magnifiquement transformé en centre culturel où se déroulent toutes sortes d’activités : expositions, rencontres, évènements culturels ; la nuit il est mis en lumière. On sent que la population s’est appropriée ce monument et qu’elle en est fière.

En un an seulement le paysage du centre de Lens lui-même a été nettement amélioré sûrement dans le sillage provoqué par le rayonnement du Louvre-Lens. On n’a pas pu résister au plaisir de visiter le musée où tout est beau, bien choisi, présenté sans pédanterie. Pour ce faire nous n’avons pas hésité à sécher une table ronde. Chut !

Soyons clairs la politique définie en 1986 s’avère être un réel succès en matière d’aménagement. Certes la création d’emplois n’a pas encore été suffisante mais le territoire est armé à présent pour saisir les opportunités qui seront offertes par une reprise économique.

Wattrelos

Le terril de phosphogypse

Le premier trophée du paysage a été attribué en 1989 par le ministre chargé de l’Environnement pour le traitement paysager du terril de phosphogypse de Wattrelos conjointement à l’équipe formée par les paysagistes Thierry Louf et François-Xavier Mousquet pour le projet et à la ville de Wattrelos pour la gestion. Cette double attribution est fondée sur le fait qu’en matière de paysage le gestionnaire a un rôle égal à celui du concepteur. L’objectif des travaux de requalification et de verdissement effectués de 1984 à 1986 sur le site occupé précédemment par l’entreprise PCUK était d’initier une dynamique de recolonisation végétale progressive, si possible sans apport de terre végétale dans l’esprit de la politique générale de requalification par le paysage des friches industrielles. Dans cette opération il y eut seulement au départ un amendement et des fumures correctrices du pH du phosphogypse. J’étais désireux de savoir si le choix du jury avait été le bon et comment avait évolué concrètement le projet car le phosphogypse est un minerai particulièrement polluant, radioactif, et agressif.

Quand on se rend sur le site de PCUK par la rue Berthelot on remarque d’abord un petit terril pyramidal de charrée (résidus) de chrome enherbé.

Puis de l’entrée du site qui s’ouvre sur une voie située entre ce terril et un autre également de charrée de chrome, nous avons remarqué qu’à la base de ce dernier une entreprise s’activait à des travaux de dépollution.

Enfin, attenant, le terril de phosphogypse proprement dit. Il est déjà bien végétalisé, il a été modelé pour le transformer en « parc nature ».

Un panneau à l’entrée du site porte fièrement l’inscription « D’une friche…à un espace naturel ». Ce dernier devait être ouvert au public en 2011. On n’en est pas là tant la pollution une trentaine d’années après l’arrêt de l’activité industrielle reste intense. Pour l’anecdote un passant qui promenait son chien sur le seul chemin autorisé à la circulation des piétons nous a dit qu’il lui était interdit d’aller au fond de son jardin à cause de la pollution. On frémit à la pensée que les habitations situées à proximité immédiate du site existaient quand l’exploitation était en pleine activité.

Ce qui me semble particulièrement intéressant à méditer pour les paysagistes, c’est la gestion complexe et longue d’un tel site avec son lot de mauvaises surprises puisque l’espace est encore interdit malgré les efforts déployés pour lutter contre la pollution comportant une part de radioactivité. Elle a nécessité le confinement des terrils par du géotextile et de la terre végétale, des forages pour un traitement par « bioprécipitation », un apport de boues de dragage en provenance du canal de Roubaix contigu, des drainages, un apport de mélasse… Ces travaux ont été menés par plusieurs intervenants mais le gestionnaire n’a pas transigé sur le fait que la qualité paysagère de l’ensemble devait être assurée.

Oui le terril a bien été végétalisé, oui il a de l’allure, oui il a été modelé pour accueillir des activités de plein air. Non celles-ci ne sont pas encore possibles tant le sol est encore trop pollué. Le paysage est visuellement digne, mais il n’est pas encore fréquentable.

Roubaix

La Piscine

C’est toujours un plaisir de visiter et de revisiter la Piscine de Roubaix transformée en un merveilleux musée d’art moderne du fait de la beauté de son architecture, des espaces surprenants que les architectes ont su aménager dans les cabines d’habillage, les douches, les coursives. C’est un enchantement de découvrir au cours de la visite une exceptionnelle collection d’œuvres réalisées par les plus grands céramistes de notre époque, de contempler de face et de dos les statues qui se reflètent dans l’eau du bassin. Il y a des peintures d’artistes oubliés mais formidables comme Paul-Joseph Barian qui a peint le monde du travail dans Le tisserand, Le tisseur, Paul Richer qui a sculpté des corps en plein effort comme celui d’un bûcheron en faisant apparaître tous les muscles avec d’autant plus de force qu’il était aussi médecin anatomiste, et puis Léopold Burthe, peintre des jeunes filles en fleur, à la carnation délicate, portant des robes charmantes, sages mais qui provoquent le désir. J’allais oublier de citer la délicieuse brasserie bonne et agréable qui s’y trouve.

Et puis le secteur alentour qui était à l’abandon a été réhabilité. A présent il offre aux regards des façades aux couleurs pimpantes qui ne manqueront pas d’attirer la clientèle de touristes vers la splendide maison de la mode installée à proximité. On peut vérifier à Roubaix comme ailleurs que les établissements culturels, à condition d’être de haut niveau, constituent des vecteurs de développement en particulier sur le plan économique, ce qui n’était pas évident au départ.

En tout cas pour passer de bons moments il faut aller dans le pays minier et dans les villes comme Lens et Roubaix qui ont misé sur la culture et la qualité des paysages pour prendre un nouveau souffle!

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La politique de réhabilitation des friches industrielles et des sites miniers par le paysage a nécessité de faire appel à des savoirs forestiers, botaniques, chimiques, écologiques pour créer des espaces où il fait bon vivre.

Cette politique de grand paysage a été accompagnée par une nouvelle démarche des architectes qui ont investi les bâtiments industriels pour y créer des bureaux et des espaces culturels en utilisant des volumes parfois gigantesques, ou au contraire des lieux improbables, tarabiscotés qui ont nécessité une bonne dose d’imagination pour les rendre utilisables. D’autres fois ils ont gardé d’anciennes installations ou machines pour en faire des éléments plastiques remarquables. Cette manière de faire de l’architecture en respectant l’histoire des lieux a généré une esthétique faite de contrastes de volumes, de traces des anciennes activités ; elle fait à présent consensus et elle a permis de créer des lieux de convivialité, d’expositions, de spectacles en les détournant de leur vocation initiale. On n’en est plus à l’époque des années 60 où il fallait oublier le passé, raser ce qui ne semblait plus avoir d’utilité pour créer un avenir fonctionnel, atteindre des objectifs quantitatifs. A l’époque le terme de beau était considéré en aménagement du territoire comme un gros mot ou une préoccupation de vieux nostalgiques qui avaient perdu la guerre de 40.

La politique de réhabilitation des friches industrielles et des sites miniers décidée dans les années 85 est un succès car elle est fondée sur la recherche de la qualité. En se fondant sur cet exemple il faut que les aménageurs des territoires de l’après pétrole soient persuadés de la nécessité d’avoir une démarche esthétique et culturelle pour obtenir un résultat satisfaisant. A cette fin ils peuvent s’appuyer sur l’expérience, la créativité, la sensibilité et la compétence technique de paysagistes, d’architectes et de plasticiens de la nouvelle génération. Ils devront aussi résister aux pressions de certains écologistes attachés uniquement à des performances quantifiables.

Jean Cabanel, décembre 2018

*Ouvrage Planter aujourd’hui, bâtir demain. Claude Guinaudeau, IDF, 1987.

En savoir plus :

Site internet : grandpaysage-gaullisme.fr

Ouvrages de Jean Cabanel sur le paysage :
1995 : Paysage Paysages - Editeur : Jean-Pierre de Monza
1999 : France, terre de paysages - Hazan
2006 : Pays et paysages de France - Editions du Rouergue
2015 : Aménagement des grands paysages en France (bilingue, français - anglais)- Editeur : Ici Consultants