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Pub sur les trottoirs : pourquoi cette expérimentation est vouée à l'échec

02.01.2018

Par Laurent Fetet, président de Paysages de France

Pas moins de cinq ministres viennent d’apposer leur signature au bas du décret autorisant pour 18 mois l’expérimentation de la publicité dite « éphémère » sur les trottoirs de Lyon, Nantes et Bordeaux. Un décret tellement étonnant et mal préparé qu’on a pu le croire tombé par hasard de la hotte d’un Père Noël un peu ivre en ce 24 décembre.

Étonnant par son contenu, son mode d’élaboration et le peu d’intérêt qu’il représente a priori pour l’accomplissement de la politique gouvernementale…

Tellement surprenant qu’il a d’ailleurs très rapidement intéressé de très nombreux médias. Notre association Paysages de France, spécialiste reconnue des abus de la publicité extérieure, a reçu un nombre incroyable de sollicitations de journaux, radios ou chaines de télévision.

Tellement étrange aussi qu’il est nécessaire de s’y intéresser d’un peu plus près.

Un décret imposé sans aucune concertation

Quelle surprise que la parution de ce décret au Journal Officiel ! Ni la société Biodégr’AD, à l’origine de l’idée, ni les maires des communes concernées n’étaient dans la confidence. Si nous savions, au sein de Paysages de France, que ce texte était dans les tuyaux, nous savions également que le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, rechignait à le signer. Son nom apparait pourtant bien aux côtés de ceux des ministres de l’Intérieur (Nous en reparlerons…), de la Justice, de l’Économie et des Finances, ainsi que du Premier d’entre eux, Édouard Philippe.

Merci Carrefour, il faut en effet une certaine dose d’optimisme
pour traverser en regardant le sol ! (Ph. Biodégr’AD)

La moindre des choses aurait été de communiquer en amont avec des associations d’usagers, des professionnels de l’affichage, les élus des territoires concernés ou des associations nationales comme la nôtre, reconnue pour le sérieux et la pertinence de ses analyses.

Mais non, l’urgence, et on se demande bien laquelle, a pris le pas sur le bon sens.

C’est ainsi que deux des trois villes retenues pour cette expérimentation, justement courroucées, ont d’ores et déjà fait savoir qu’elles s’opposeraient à ce que leurs trottoirs reçoivent ce nouveau type de publicité. Ça commence bien…

Une origine pour le moins abracadabrantesque…

Mais dans la tête de quel esprit tordu a bien pu germer cette idée de rajouter de la publicité sur les trottoirs ?

Il faut savoir que cette pratique, bien qu’interdite par les codes de la route et de l’environnement, a vu le jour il y a plusieurs années avec des sociétés comme Carré Urbain, Biodégr’AD ou Tagalo. Les trottoirs de villes comme Nantes (Tiens ?), Bordeaux (Tiens, tiens…) ou Lyon (Tiens, tiens, tiens !) ont déjà eu la « chance » d’être décorés au nettoyeur haute pression. Les responsables de ces actes, agissant la plupart du temps en toute illégalité, ont parfois été sermonnés mais jamais sanctionnés.

Que penser de nos dirigeants qui, au lieu de faire respecter la loi, songent à la modifier avec la complicité des contrevenants ? Qu’est-ce donc que cette méthode qui consiste à changer des textes protégeant toute une population afin d’en arranger quelques-uns ?

L’idée de la publicité au sol n’est effectivement pas très nouvelle…

Un mode de publicité de plus, massivement rejeté

A l’heure où la publicité extérieure tend à diminuer dans nombre de communes qui instaurent des règlements locaux de publicité plus restrictifs que le cadre national, alors que la grande majorité de nos concitoyens estime qu’il y a trop de publicité et la juge trop invasive, est-il raisonnable de promouvoir un nouveau type de support, sous le fallacieux prétexte de l’écologie (Remarquez les termes utilisés : « propre », « éco-responsable », « écologique »…) ? Si ce projet nous garantissait que la publicité au sol allait remplacer tous les panneaux, nous signerions des deux mains et dès demain ! Mais rien dans le texte proposé ne va dans ce sens, c’est donc plus de publicité, sans contrepartie pour nos pauvres yeux déjà saturés. Quelques sondages internet, certes sans valeur scientifique, donnent cependant une tendance qu’on ne peut ignorer : les trois quarts des personnes ayant répondu s’opposent à cette forme de publicité.

Sur capital.fr                                                       Sur linfodurable.fr

Nantes et Bordeaux l’ont bien compris en tuant dans l’œuf cette expérimentation, ne voulant faire subir à leurs administrés une nouvelle pollution alors que ces deux villes font tant pour rendre leur cadre de vie plus agréable.

Mais alors, pourquoi Lyon est-elle si enthousiaste ?

Le choix de Lyon nous fait douter…

La Métropole de Lyon vient de s’engager, le 15 décembre dernier, dans l’élaboration d’un règlement de publicité censé limiter l’impact de la publicité extérieure. Pourtant, Lyon se dit favorable à cette expérimentation.

On pourrait s’étonner que l’actuel ministre de l’Intérieur, signataire du décret, soit l’ancien maire de Lyon.

On pourrait se demander si c’est un hasard que la société à l’origine du texte soit basée à Lyon, et soit conseillée par le même cabinet d’avocats que la Métropole de Lyon.

On aimerait également qu’on nous confirme que ce ne sont pas les bénéficiaires directs de cette expérimentation qui ont choisi les villes tests.

Un projet mort-né

Le décret publié le 24 décembre donne des modalités d’évaluation bien peu précises. Qui la mènera et avec quelle transparence ? Quelle forme prendra par exemple la consultation des riverains, et quel poids aura-t-elle dans la décision finale ? Qui décidera en dernier lieu de l’opportunité de poursuivre ou non dans cette voie ?

Nous pouvons dès maintenant l’affirmer : cette évaluation n’aura aucune valeur. Deux des trois villes tests ne participeront pas à cette expérience. Quels qu’ils soient, les résultats pour la ville de Lyon, pas vraiment impartiale sur la question, ne pourront être représentatifs d’une tendance nationale.

Ce décret, publié à la va-vite, mal fagoté, contestable et surtout inutile, est voué à l’échec. Il serait sage de le reconnaitre et d’abroger ce texte avant d’aller plus avant dans le ridicule.