Paysages de France
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Quand les carrières dévorent les paysages

19.03.2025

« Pour sauver les dernières parcelles qui ont gardé quelque peu de leur aspect primitif, il faut agir tout de suite. Car si l’on y prend garde, les cultures, les usines, les chemins de fer, les carrières, les villas ... auront bientôt tout envahi » Jean Massart botaniste belge 1912

Les carrières sont des lieux assez méconnus ; lors de leur exploitation, elles sont cachées par des merlons ou interdites par quelques clôtures. Seuls, les poussières, les tirs de mines, les bruits des concasseurs, les ballets incessants des camions marquent leur présence. Leur paysage en activité est la nuisibilité. Quand elles sont désaffectées, rapidement elles se transforment en lieu de décharges pulsionnelles. Dans l'histoire, elles ont été lieux d'exactions comme la carrière des fusillés près de Chateaubriant et dans notre époque plus récente, elles ont servi de dépôts sauvages de déchets. Dans le meilleur des cas, mais trop rarement, elles ont été protégées ou réaménagées.

Des carrières sans destin

En France, il y a environ 4000 carrières et les volumes extraits sont de 349 millions de tonnes de granulats en 2023 . Les granulats ( graves, graviers, sables) entrent dans la composition de divers matériaux liés ou non (béton, macadam, et ballast de remblai), destinés à la construction d'ouvrages de travaux publics, de génie civil et de bâtiment. La part française des roches ornementales et de construction tend à disparaître et ne constitue désormais que 4% du marché du bâtiment.

Le BRGM recense plus de 100 000 anciennes carrières . Ces petites et anciennes carrières de roches ornementales, les gestes qui façonnaient la matière, les savoir-faire vernaculaires, oeuvres et ouvrages formaient un monde . Cette production permettait un habitat local et adapté et la nature reprenait rapidement ses droits sur cette myriade de petites carrières. Les traces de l'activité des hommes peuvent être belles quand il y a des limites. Certaines anciennes carrières constituent même des paysages remarquables, comme par exemple les carrières d'ocre de Roussillon ou les carrières du Bon Temps dans le Gard. Ce sont des micro-paysages.

Malheureusement, les anciennes carrières reprennent du service ou celles qui sont en exploitation s'agrandissent de plus en plus. Il n'y a plus de limite dans le temps, dans l'espace et dans les volumes extraits. Ce seront des paysages dévastés, des no man's land.

Des paysages broyés

Désormais, avec l'extractivisme, les volumes d'extraction ont explosé , si l'on peut dire, le broyage facilite le flux et le reflux, les savoir-faire ont disparu au profit des processus qui découpent l'activité en tâches pour alimenter le machinisme, les matériaux sont utilisés pour construire de grandes plateformes logistiques, des routes déroutantes et une urbanisation trop bétonnée, et enfin la démolition des bâtiments neufs qui est déjà souhaitée met en lambeaux les idéaux de la durée. Est- ce la fin du patrimoine bâti et paysager ?

Destruction d’un immeuble à Nantes

Les carrières sont désormais réceptacles des déchets du BTP, la production annuelle en France est de 240 millions de tonnes et seul un tiers est recyclé. Ce comblement ne correspond plus à une remise en état. En effet, trop pollués, ces sols sont une aubaine pour y installer des panneaux photovoltaiques.

Nous avons ainsi une économie croissante de la démolition/construction suivie d'un flux de granulats et de gravats. Les carrières sont les berceaux de projets incessants d'artificialisation des sols et le tombeau de nos excès. A partir de la roche, est produit du moche.

La première opération avant l'extraction est le décapage, qui consiste à retirer les terrains situés en surface pour mettre à nu les niveaux à exploiter. Ensuite, les granulats extraits sont pour une bonne part utilisés en matériaux de viabilité et par conséquent nécessitent en leur destination des arasements de terrains. Les terrassements consistent à déplacer des quantités importantes de matériaux (sols, roches, etc.). Ainsi, que ce soit dans les lieux de production ou lieux de consommation, il y a une dégradation des sols, une transformation du relief et des paysages. Ces carrières en activité occupent un peu plus de 0,2 % de la surface de la France (soit 1 166 km²) et en 2022, 20 276 hectares ont été artificialisés avec les matières issues de ces carrières.

La mise en éclat, la mise en tas , la mise à plat, la mise en trou façonne désormais notre paysage.

A quelle instance se vouer ?

Les militants et militantes des associations luttant contre les ouvertures ou extensions de carrières ont comme préoccupations premières -à juste titre- les aspects écologiques, mais la sensibilité aux paysages est aussi très forte. A priori, les arguments écologiques peuvent être plus entendables, mêmes s'ils ne sont pas entendus par les pouvoirs publics, les institutions ou les porteurs de projets . Par contre, les impacts paysagers ne sont que très peu évoqués en tant que tels et par manque d'interlocuteur. Il y a peu d'institution pouvant recevoir ce type de doléance. La dernière instance consultative d'une autorisation de carrière est la Commission Départementale de la Nature, des Paysages et des Sites (CDNPS) et malheureusement la notion de paysage n'y est jamais abordée. Ce n'est jamais l'enjeu, c'est bien plus sérieux.

On pourrait évoquer l'impact paysager en l'intégrant dans un souci économique, notamment celui du tourisme, dire que cela pourrait faire fuir quelques randonneurs, mais le tourisme au niveau des communautés de communes est fréquemment associé à une autre compétence : le développement économique ; in fine, l’objectif principal restera la mise en place de nouvelles infrastructures au détriment des paysages d'accueil.

La carrière du Tahun

Le collectif "Carrière Tahun" a essayé de défendre la Vallée du Don avec ses paysages. Sur une ancienne carrière, depuis 30 ans d'inactivité, la nature s'était de nouveau installée avec de magnifiques parterres d'orchidées. La beauté du site n'a pas été perçue, les décideurs se sont focalisés sur son ancienne fonction de carrière quand d'autres ne voyaient que les déchets répandus, ce qui est le lot de toutes les carrières laissées à l'abandon et sans protection. L'avenir de ce lieu était donc tout tracé, il fallait reprendre l'activité d'extraction et en faire cette fois-ci non une décharge sauvage mais une décharge industrielle. Le lac sera donc vidé, puis creusé plus profondément et plus largement pour extraire de la roche et y enfouir les déchets du BTP. On n'a pas trouvé mieux.

L’ancienne carrière du Tahun (Guéméné-Penfao)

L'imaginaire industrieux a fait écran à l'image donnée par cette composition naturelle et spontanée. Durant les 4 ans de lutte, cette ancienne carrière s'est enjolivée, nous ne savons par quel miracle, comme si elle tentait de se défendre, de séduire, mais en vain, la production écrase désormais la séduction.

Juste en lisière de la carrière, il y a un site classé, une chapelle sur un bel espace, nous avons fait valoir l'importance de continuer à s'y recueillir, à s'y reposer, à s'y promener, mais cette alerte a reçu une réponse sans appel : "La carrière n'est pas visible". Comme si le paysage n'était qu'une question de regard. Bien d'autre sens sont impliqués et parfois le charme tient à un je ne sais quoi, quelque chose d'indescriptible, quelque chose d'invisible et pourtant si manifeste.

La chapelle Sainte-Anne-des-lieux-saints (Guéméné-Penfao)

La légende raconte qu'ici Anne de Bretagne aurait rencontré un ermite qui lui aurait donné quelques pierres précieuses. Ce don aurait permis de financer la construction de la cathédrale de Nantes. En retour l'ermite aurait simplement demandé que l'on préserve ces lieux durant les siècles à venir.

Malheureusement, à la place d'une économie fondée sur l'échange et inspirée par le beau, s'installe une economie de l'accaparement : 2,6 millions de tonnes de granulats seront extraits pour enlaidir cet endroit et bien d'autres ailleurs.

Ce qui se passe là, comme dans la plupart des carrières, des sablières, des gravières annonce une mise en débris du monde. Il y a tant de paysages sacrifiés.

Jean-Luc Vrignon, animateur d’un Café Philo à Guémené Penfao, 

membre du Collectif Carrière Tahun